Anne-Laure WUILLAI

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Hasard d'Ensembles, catalogue d'exposition

Beaux-Arts de Paris éditions, 2013

 

         Dans L'Analyse des sensations, ouvrage paru pour la première fois en 1886, Ernst Mach illustre un passage du chapitre "Mon corps, ma perception" par un schéma montrant ce qui s'offre à son œil gauche quand, allongé sur le canapé, il ferme le droit : "Dans le cadre formé par le sourcil, le nez et la moustache, apparaît une partie de mon corps, la seule qui me soit visible, et de ce qui l'entoure". Et de soulever la spécificité de notre propre corps, à savoir de ne pouvoir être perçu par nous qu'en partie et sans tête: le point à partir duquel nous observons le monde nous est donc irrémédiablement dissimulé, à moins évidemment de recourir à l'aide d'un miroir. Telle est la situation de départ dont Anne-Laure Wuillai a choisi de prendre acte et qu'elle explore inlassablement, se photographiant elle-même, sa tête toujours absente, et plus précisément son œil, qui est pourtant bien le point unique d'où s'organisent toutes les explorations de son corps, des explorations menées aussi loin que la souplesse de son cou le lui permet. En résultent, suivant la position de l'objectif par rapport à la verticale du corps, soit des écrasements surprenants dans lesquels on pourrait presque, parfois, à la faveur d'analogies formelles, voir surgir un visage, soit des étirements vertigineux qui évoquent la dépouille, tel le Saint-Barthélémy du Jugement dernier de la Chapelle Sixtine. Quelles que soient ces formes et quelles soient intégralement dessinées ou obtenues dans un premier temps par un transfert à l'acétone, elles ont en commun d'être représentées grandeur nature, voire un peu plus grandes et de se détacher sur de vastes étendues blanches, vides, le corps étant saisi indépendamment de son environnement : les pieds flottent toujours et le corps, sans relief et sans creux, devient son unique paysage. Elles s'apparentent aussi par le traitement qu'en donne Anne-Laure Wuillai qui, loin de chercher la précision des détails, cultive le flou et par là l'ambiguïté ou les associations possibles.

 

Guitemie Maldonado